Abc-luxe a souhaité aller à la rencontre de Philippine Renaud, la Fondatrice de Madones, un showroom consacré au vintage et luxe de seconde main (mode et accessoires). Philippine nous livre sa vision du marché parisien ainsi que celle de ses clientes de la Génération XYZ. Un vrai phénomène de société à la rencontre de l’évolution des attentes des clientes.
Kathy O’MENY : Comment avez-vous eu l’idée de créer Madones ?
Philippine Renaud : Déjà petite, avec ma sœur, je me cachais dans les rayons de la boutique de mon grand-père.
J’ai toujours fait du shopping avec ma mère. On peut dire que c’est vraiment dans mon ADN !
En 2011 je suis rentrée chez Condé Nast et j’ai vécu 1 an à New York. Ce phénomène de la seconde main était déjà très développé aux Etats-Unis. C’est amusant, comme un signe du destin, j’habitais au dessus d’une boutique vintage. C’est ce voyage qui m’a finalement fait découvrir ce concept.
Aujourd’hui, j’ai eu envie d’ouvrir ma propre boutique. C’est devenu une évidence. Par exemple, je faisais beaucoup de brocantes à titre personnel. A ce moment-là j’ai remarqué que j’aimais acheter, conseiller les femmes et revendre. Donc, j’ai commencé par vendre une partie de ma collection personnelle avant de passer à une autre échelle.
Kathy O’MENY : Avez-vous une signature en matière de vêtements ?
Philippine Renaud : Ma signature c’est le tailleur pantalon Yves Saint Laurent. C’est un peu snob de dire ça, mais ma mère en portait et j’ai toujours aimé cela.
Kathy : Comment avez-vous fait pour faire Madones ?
Philippine Renaud : J’ai vraiment lancé Madones en mars 2022 et cela a très vite fonctionné. Je faisais plusieurs salons du vintage et de la seconde main. Lors d’un salon, j’ai eu la chance de croiser Clara Luciani qui est venue me voir. Le salon a duré 2 jours et le samedi soir, elle m’a contactée via Instagram. Ça m’a beaucoup touchée, c’est une femme que j’aime beaucoup. Cela m’a confirmé dans ce choix professionnel. Depuis, on s’écrit sur Instagram, j’ai toujours des petits encouragements donc c’est plutôt sympa.
Kathy : Comment sourcez-vous vos pièces ?
Philippine Renaud : Il y a beaucoup de pièces qui viennent de ma collection personnelle. Des vêtements et accessoires que je me suis achetés il y a quelques années et qui pourraient trouver leur place chez quelqu’un d’autre.
Ensuite, avec mes 10 ans chez Condé Nast, comme je m’occupais des annonceurs luxe, j’ai rencontré beaucoup de femmes qui avaient accumulé des vêtements via leur travail chez différentes Marques et qui maintenant veulent les revendre. Notamment, j’ai eu la chance de rencontrer 2 femmes, il y a 5 ans, et qui ont travaillé de 1975 à 2005 chez YSL, Christian Dior, Ungaro, Balenciaga, Fendi, etc. Elles ont des collections impressionnantes de pièces qu’elles portaient ou qu’elles n’ont même jamais mises. Elles m’en vendent régulièrement. J’adore échanger avec elles, car elles ont plein d’anecdotes avec des créateurs et un vocabulaire très précis pour décrire leurs vêtements.
Je fournis aussi mes stocks au grès des salons.
Kathy : Comment vous assurez-vous que les accessoires et vêtements ne sont pas des contrefaçons
Philippine Renaud : Aujourd’hui, ce ne sont quasiment que les accessoires qui sont contrefaits. Pour le prêt-à-porter, la seule chose qui commence à être un petit peu contrefaite, ce sont les vestes Chanel. Néanmoins, je suis acheteuse de mode de seconde main depuis tellement d’années chez Chanel, qu’en un coup d’œil, je sais s’il s’agit d’une contrefaçon ou pas. J’en vois tellement passer que je sais exactement quels points d’authentification il faut regarder. Par exemple pour les sacs Chanel, il y a la texture du cuir, les sacs doivent tenir tout seul malgré le poids de la chaîne, la bijouterie, les fermetures, les œillets, la police d’écriture, etc. Il y a plusieurs points d’authentification.
Je peux dire que c’est mon expertise personnelle qui fait que je n’ai aucun soucis pour repérer les contrefaçons. Je pense, quand on me rencontre, que l’on voit tout de suite à ma manière d’être, de m’habiller, de m’exprimer que je connais mes produits. Je mets aussi en avant le fait que j’ai travaillé chez Condé Nast et que j’ai un compte LinkedIn.
Kathy : Que pensez-vous des technologies de la blockchain ?
Philippine : Je ne m’y suis jamais vraiment intéressée mais c’est à regarder. Avec toutes les pièces que j’achète aux particuliers, je me rends compte que ce sont souvent les premiers propriétaires. J’ai, par exemple, des sacs Chanel des années 1970/1980 et quand je vais rencontrer la personne qui le vend, elle me raconte quelques anecdotes sur son sac. Je trouve cela important de connaître les histoires d’une pièce… Ça créée des liens entre les personnes. Finalement, j’ai l’impression que c’est Madones la seconde main.
Kathy : Quelles sont parmi les pièces Madones celles qui se vendent le mieux ?
Philippine Renaud : Chez Madones, je vends plutôt des pièces des années 1980/1990. Je suis un peu hybride, je fais à la fois du prêt-à-porter et des sacs. Pour ma part, je dirais que le prêt-à-porter se vend plus que les sacs.
Ma spécialité ce sont les vestes et pantalons tailleurs YSL. Les vestes sont très appréciées parce qu’elles habillent tout de suite un look, surtout avec les structures de vestes de l’époque. En plus, c’est utile et pratique pour moi puisqu’à priori, une veste taille 38 peut aussi bien aller à un 41 qu’à un 36. Parmi les vestes, celles que je vends le plus sont celles des Maisons Dior et YSL.
Après, je fais beaucoup de sacs Chanel, et d’autres marques également, mais le ticket d’entrée va être de 3 000€. Donc je ne vends pas un sac à 3 000€ tous les quatre matins. Sinon, parmi les accessoires, ça va être les sacs Chanel et Paco Rabanne qui partent le plus.
Cette année, j’ai vraiment remarqué 3 marques qui reviennent sur le devant de la scène avec ce petit côté vintage, ce sont : Paco Rabanne, Courrèges et Patou. J’ai beaucoup de demandes pour ces marques. Ensuite, pour les bijoux comme j’en ai jamais porté je n’en vends pas beaucoup. J’achète seulement ce que j’aime et ça plaît à mes clients.
Kathy : Quelle est la tranche d’âge principale de votre clientèle ?
Philippine Renaud : Je trouve cela intéressant donc je prends le temps après chaque vente de reporter le profil type pour essayer d’en tirer des conclusions. Il y a vraiment de tout, ça va de 20 à 60 ans. J’ai même des hommes qui m’achètent des pièces pour des femmes. Je pense que la majorité de mes clients sont des femmes entre 35-40 ans.
Kathy : Quelles sont les pièces qui attirent le plus la clientèle jeune ?
Philippine Renaud : Les jeunes femmes vont surtout acheter un logo, c’est-à-dire tout ce qui est identifiable. C’est très influencée par Tik Tok et les réseaux sociaux en général. Je me rends compte que ce sont les marques où il y a un logo comme Courrèges, Paco Rabanne et Pucci qui se vendent le plus auprès des jeunes. Après, l’attrait pour la seconde main pour la génération Z est impressionnante. A mon époque ça existait moins.
Kathy : Pour Madones, avez-vous penser à des diversifications ?
Philippine Renaud : J’ai beaucoup d’amis qui me demandent, de venir chez eux faire des tris avec ce que je garderais et ce que je ne garderais pas dans un dressing. Je trouve ça tellement dommage d’acheter autre chose que de la seconde main pour plein de raisons. Il y a le côté écologique, mais aussi la qualité du produit. Des pièces en parfait état que j’ai actuellement le seront encore dans 20 ou 30 ans. Au final l’indice prix/utilité qu’on va faire de l’achat est très positif pour le vintage. C’est possiblement un axe de développement de Madones.
Kathy : Est-ce que vous ne redoutez pas les marques elles-mêmes deviennent vos principales concurrentes ?
Philippine Renaud : Pas vraiment même si j’ai vu que Gucci le fait un peu. J’ai des marques qui viennent m’acheter des produits pour leurs archives. Aussi dans leur business model, je ne vois pas quelle politique de prix les marques pourraient appliquer.
De mon coté, je devrais avoir plus peur des boutiques qui sont installées depuis 10 ans, bien que quelque part, chaque pièce est unique, donc je n’ai pas peur de la concurrence.
Kathy : Avez-vous l’intention de vendre un jour sur Internet ?
Philippine Renaud : Je n’en ai pas l’intention. Je ne veux pas faire de e-commerce pour plusieurs raisons.
– Premièrement, je n’ai pas le budget pour faire des packshots de mes produits. En plus je n’aime pas les packs car je trouve que ça ne met pas en valeur le produit. Si j’avais un site de e-commerce je serais obligée de le faire et je n’ai pas envie.
– La deuxième raison c’est que je ne voudrais pas gérer les retours, j’ai souvent eu des soucis avec les transporteurs. Il y a aussi le délai des 14 jours de droit de rétraction légal et je ne voudrais pas m’en occuper.
– Enfin il faut essayer le produit, particulièrement dans le vintage. Tout taille plus petit, les tailles vintage font environ deux tailles de moins qu’aujourd’hui donc il faut essayer et toucher les matières. De plus j’aime particulièrement conseiller les clientèles qui viennent me voir.
La seule fois où j’ai accepté de vendre sur Internet c’est sur Instagram et je connaissais déjà la personne. Il faut qu’il y ait eu un lien de confiance entre nous. Après, selon moi, seuls les sacs peuvent être vendus en ligne puisqu’à priori on l’a vu en photo sous toutes ses coutures alors que le prêt-à-porter ce n’est pas possible.
Kathy : Pensez-vous ouvrir une boutique en plus de votre showroom Madones ?
Philippine Renaud : Ce n’est pas un manque d’ambition mais pour le moment je n’ai pas envie. On pourrait penser que mon but ultime c’est d’ouvrir une boutique alors que pas du tout pour un tas de raisons. Pour mon positionnement prix ce serait une erreur parce que j’aurais beaucoup plus de charges fixes qu’avec mon show room. On n’achète pas une veste à 500€ ou un sac à 3 000€ sur un coup de tête en entrant dans un boutique. Aussi, je n’ai pas assez de turn-over pour avoir une boutique.
Kathy : Comment voyez-vous Madones dans 5 ans ?
Philippine Renaud : L’avenir de Madones c’est d’être présente sur plus de salons. J’aimerais faire de plus en plus d’événements. Aujourd’hui ma problématique c’est de faire des pop-up stores. C’est un phénomène qui fonctionne très bien, il y en existe de plus en plus. J’en ai déjà fait un dans le 9ème arrondissement à Paris qui a bien fonctionné. Pour que le pop-up marche vraiment il faut trouver des artères commerçantes dans des arrondissements ou villes sensibilisées à la seconde main. C’est mon objectif pour le dernier trimestre 2023.
Pour l’instant, j’ai prévu de faire un pop-up du 30 mai au 4 juin 2023 au 35 rue Condorcet dans le 9ème à Paris et de participer au Brussels Design Market les 23 et 24 septembre 2023 à la Gare Maritime de Bruxelles.
Propos recueillis par Kathy O’MENY et Laure de Coudenhove
Paris, le 25 avril 2023