Nous avions déjà interviewé Edouard de Broglie il y a plusieurs années après le lancement de son 1er restaurant dans le Noir?, en 2005. Il nous avait déjà captivés à l’époque par sa vision et sa force de caractère, malgré son handicap. Quelque 20 ans plus tard, nous avons souhaité lui donner à nouveau la parole afin d’inspirer les futures générations grâce à son parcours d’entrepreneur passionnant et déterminé ayant dû faire face aux vraies questions liées à l’Innovation et à l’inclusivité.

Je sais que cela n’a pas été simple pour vous au début notamment coté financement…. Quelles principales difficultés avez-vous rencontrées ?

Même si vous avez réussi à convaincre des banquiers, en réalité, il faut réussir à convaincre le comité. Je suis allé dans 13 banques différentes. Chacune avait des idées fantastiques et me disait : « Tu comprends, Edouard, il n’y a pas de modèle. » C’est à ce moment-là que je leur répondais que « effectivement c’est la une très bonne définition de l’innovation » Ce qui les rassure, c’est d’avoir un modèle, un exemple concret. Il faudrait qu’une personne l’ait déjà fait auparavant … Cela leur permet de se projeter plus facilement, de visualiser quelque chose de tangible. Mais par définition ce n’est plus une innovation !

Pour information, suite à notre réussite les banquiers sont devenus très aimables avec nous

Combien de restaurants avez-vous à présent dans le monde ?

Aujourd’hui, nous en avons 17 à l’international. Nous nous sommes également diversifiés au fil du temps : d’abord dans les spas, puis dans les ateliers sensoriels, et plus récemment dans le parfum. Nous avons ouvert notre premier restaurant à Paris en 2004, puis à Londres en 2006. Ensuite, nous nous sommes rapidement développés en Espagne, à Barcelone et à Madrid.
Nous avons aussi commencé à ouvrir des établissements en partenariat avec des hôtels de luxe, notamment à Saint-Pétersbourg, puis à Bordeaux. Actuellement, nous comptons sept restaurants en France.

À l’international, en plus de ceux déjà cités, nous sommes présents à Bruxelles, Genève, Luxembourg, Lisbonne, au Caire en Égypte, à Auckland en Nouvelle-Zélande, et tout récemment, il y a trois jours, nous avons ouvert à Hong Kong, au sein de l’hôtel Le Méridien.

restaurant Inclusivité dans le Noir ?Qu’est-ce qui a, finalement, fait le succès de vos restaurants ?

À la base, nous sommes des fabricants d’expériences. C’est vraiment notre cœur de métier : créer des expériences qui marquent !  Nous croyons à la force des expériences. D’ailleurs, nous disons souvent chez nous qu’ « une bonne expérience vaut mieux qu’un long discours ». Ces expériences agissent à plusieurs niveaux, et c’est, selon moi, ce qui explique leur succès.

Tout d’abord, elles proposent une immersion sensorielle unique, en nous coupant du sens dominant qu’est la vue, pour ré-interroger les autres sens. Et là, on réalise à quel point on pense savoir, alors qu’en réalité, on ne sait pas. Par exemple, dans nos restaurants, certaines personnes confondent le thon avec le veau, ou encore le vin blanc avec le vin rouge. C’est souvent une véritable catastrophe

Cela devient alors un outil de remise en question personnelle très puissant, qui interroge notre rapport aux sens. Et c’est exactement le même principe que nous avons appliqué à nos ateliers sensoriels, notamment ceux sur le parfum, que nous animons depuis cinq ans. La culture du parfum, en France, est en réalité très limitée. Beaucoup de gens ne connaissent pas les grandes familles olfactives, ne savent pas identifier une odeur… Et quand je parle des gens, je parle de nous tous, mais aussi de professionnels censés avoir une expertise, que ce soit dans le vin, le parfum ou la gastronomie. Et parfois, même eux se trompent.

Que proposez-vous exactement dans vos ateliers sensoriels ?

Par exemple, nous avons un atelier sensoriel, « Le parfum et vous », ouvert depuis 5 ans. L’objectif, c’est de faire découvrir les grandes familles du parfum aux participants et de les aider à identifier celle qu’ils préfèrent. À la fin de l’atelier, ils repartent avec une box contenant trois parfums de grandes marques. Notre but est simple : redonner aux gens l’envie d’acheter avec leurs sens, et non avec l’image véhiculée par la publicité. Autrement dit, choisir un parfum avec son nez, plutôt qu’en se basant sur une campagne marketing mettant en scène une célébrité. On souhaite qu’ils se réapproprient leur sensorialité dans leurs choix de consommation.

Je ne suis pas contre le marketing, c’est un outil puissant de désir et d’innovation, mais il y a des dérives. Quand je vois ce que sont devenus des enseignes comme Sephora ou certains grands magasins dits de luxe, j’ai un peu de peine. On se rapproche de plus en plus de la grande distribution : les gens achètent sans vraiment savoir ce qu’ils achètent.

Face à cette industrialisation du luxe, nous avons presque un rôle pédagogique à jouer. Nous voulons réintroduire du sens, littéralement et symboliquement. Le succès repose donc sur cette expérience sensorielle, mais aussi sociale. Dans nos restaurants, par exemple, les grandes tables mélangent amis et inconnus. Le noir efface les marqueurs sociaux, les apparences, les aprioris. Il crée une forme d’anonymat propice aux échanges libres. C’est ce que j’appelle notre « blabla business », un espace de rencontre authentique.

Enfin, il y a une dimension de sensibilisation à la différence et à l’inclusivité face au handicap. C’est un renversement des rôles très fort : là où on est habitué à aider une personne aveugle à traverser la rue, ici, c’est nous qui sommes guidés dans l’obscurité.

On devient vulnérable, et cela change profondément notre regard. Nous proposons cette expérience aussi bien au grand public qu’aux entreprises, qui viennent souvent chez nous pour sensibiliser leurs équipes au handicap. Et ça fonctionne, car l’impact est réel et durable.

C’est vrai, qui aurait pu imaginer, il y a vingt ans, que des personnes aveugles puissent travailler dans la restauration !

Et pourtant, aujourd’hui, nous en employons partout dans le monde, et cela se passe très bien. C’est en quelque sorte une belle leçon d’inclusivité à la fois humaine et professionnelle qui, je trouve, mérite d’être soulignée.

Pensez-vous que la vision du handicap et de l’inclusivité ait évolué en vingt ans ?

Je dirais oui et non. En France, il y a eu des avancées majeures, notamment avec la loi de 2005, qui a marqué un tournant important. Elle a contraint les entreprises à se pencher sur la question de l’inclusivité, en imposant un quota de 6 % dans leurs effectifs. Bon, dans les faits, la plupart n’y parviennent pas, mais on sent qu’ils font des efforts. On parle du handicap pendant la Semaine dédiée, en novembre, puis on l’oublie aussitôt après. C’est un sujet qui reste délicat, car il est encore trop souvent associé à la sous-performance et à la fragilité. Et là-dessus, je pense être un contre-exemple fort.

Dans notre structure, 50 % de nos collaborateurs sont en situation de handicap. Et nous sommes dans le milieu ordinaire : pas d’aides, pas de subventions, aucun allègement de charges. Et pourtant, on est rentable, on se développe à l’international, on crée de l’emploi. C’est une vraie démonstration qu’un modèle inclusif peut être performant.

Combien de salariés comptez-vous au total ?

Cela dépend de ce que l’on inclue dans le calcul.
Nous avons deux modèles : d’un côté, nos propres restaurants à Paris, Londres, Madrid, etc., où nous sommes employeurs directs. De l’autre, des établissements en partenariat avec des hôtels de luxe. Dans ces cas-là, nous assurons la direction du restaurant avec un directeur issu de chez nous, mais le personnel est embauché par l’hôtel. C’est un peu le même fonctionnement que le groupe Accor : ils ne sont pas toujours propriétaires des hôtels, mais ils y placent un directeur, apposent leur marque, et assurent la gestion pour le compte du propriétaire.

Concrètement, nous avons environ 100 salariés en interne.
Mais si l’on compte toutes les personnes qui travaillent dans les restaurants opérés sous notre modèle, cela représente entre 300 et 350 collaborateurs.

Quel est votre chiffre d’affaires à présent ?

Nous réalisons un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros sur notre activité directe, sans inclure les revenus générés par nos partenaires ou nos franchises. Nous avons actuellement deux franchises, avec des hôtels. Notre rôle est d’y apporter notre concept d’expérience sensorielle, que cela soit à travers des restaurants, des ateliers ou potentiellement, à l’avenir, des spas, même si ce n’est pas encore le cas avec nos partenaires actuels.

Nous travaillons avec des groupes hôteliers prestigieux comme Radisson, Hilton, Sheraton, Ritz-Carlton ou encore Pullman. Il s’agit généralement d’hôtels 4 ou 5 étoiles.
Ce modèle est très intéressant pour les hôteliers, car il permet de garder les clients pour diner. Cela attire aussi une clientèle extérieure à l’hôtel, ce qui reste un défi pour de nombreux établissements haut de gamme.

Ces partenariats sont des leviers efficaces pour notre développement à l’international. Quant à nous, nous n’investissons directement que dans des lieux proches de la France, car la restauration est un métier de présence. Dès que la distance devient trop grande, nous privilégions des partenariats locaux pour assurer un fonctionnement optimal.

Dans le Noir ? Inclusivité, Innovation

Et comment vous est venue l’idée de développer ce modèle de franchises ?

Les franchises? Eh bien, c’est un modèle déjà bien connu. Regardez Accor par exemple, ils ne fonctionnent exclusivement que de cette façon, avec des contrats de management. C’est un moyen de se déployer rapidement sans nécessiter de lourds investissements. Nous sommes une petite structure, et la restauration est un secteur très capitalistique. Il faut investir beaucoup pour espérer un retour sur le long terme. Si nous avions une puissance financière plus importante, nous ouvririons davantage de restaurants par nous-même, car c’est plus rentable. Mais avec les franchises et les partenariats, nous pouvons nous développer à l’international avec 2 à 3 ouvertures par an.

Et comment est né le projet autour du parfum ?

L’histoire du parfum dans le Noir ? a commencé différemment. Pendant cinq ans, nous avons animé des atelier sensoriels, accueillant des milliers de personnes, y compris de grandes marques. Cela nous a permis de constater que, comme dans la gastronomie, le niveau de culture sensorielle du public était assez faible. Alors on s’est dit « pourquoi ne pas créer notre propre produit ? » on a donc créer notre eau de parfum de nuit.

Comme nous travaillons avec des personnes non-voyantes, il était logique de s’intéresser à l’univers de la nuit. Nous avons donc développé une eau de parfum de nuit, un segment très peu exploité par les grandes marques. C’est un parfum de peau, à porter après la douche.

Nous avons collaboré avec Suzy Le Helley un grand nez de la maison Symrise accompagnée des animateurs de nos ateliers, des personnes aveugles ou malvoyantes qui ont une sensibilité olfactive développée et une grande expérience de la perception sensorielle du public.

Après un an de travail, le parfum est né. Il a été très bien accueilli, tant par les professionnels que par la presse, qui l’a placé parfois au niveau voire au-dessus de certaines grandes marques. Nous ne nous voulions pas d’un parfum de plus sur une étagère, nous avons donc développé un atelier immersif afin de le découvrir. Il se déroule dans le noir, au 40 rue quincampoix à Paris. Cette expérience sensorielle dure environ 20 min racontés comme une histoire, où l’on découvre le parfum sans visuel, uniquement par l’odorat et l’imaginaire.

Cet atelier peut également être proposé aux hotels partenaires, il ne nécessite qu’un simple matériel (masques, casques) et permet aux clients de vivre une expérience originale et d’acheter ensuite le parfum sur place. Les retours sont très positifs, beaucoup disent que c’est la première fois qu’on leur présente un parfum de cette manière. Il est possible de venir en groupe, jusqu’à 8 personnes. Pour les groupes plus importants, il est possible d’ organiser une session dans notre restaurant, avec une capacité allant jusqu’à 50 personnes. Pour une expérience plus intime et qualitative le mieux est un groupe allant de 6 à 8 participants.

Quel est le coût de l’atelier ?

Pour le grand public c’est une activité payante, l’atelier coûte 19 euros par personne. En revanche, pour les journalistes, nous ne faisons pas payer l’expérience.

Cela dit, le prix de l’atelier est déduit si le participant achète un produit à l’issue de l’expérience.

Avec le recul, que referiez-vous différemment ?

Au tout départ, j’ai cru, un peu naïvement, que Dans le Noir? était un concept universel capable de toucher tout le monde car il faisait appel aux sens et questionnait la cécité, une certaine forme d’humanité allait naturellement susciter l’adhésion. Mais je me suis rapidement rendu compte, notamment à travers certains échecs, que ce n’était pas aussi simple. Par exemple, nous avons ouvert un restaurant à New York qui a fonctionné pendant deux ans, mais que nous avons finalement dû fermer. Les New-Yorkais ne comprenaient pas notre démarche. En sortant, ils nous demandaient : « Mais pourquoi vous faites ça ? » Il y avait clairement un fossé culturel. Ce n’est pas une généralité sur les Américains, mais sur cette ville en particulier, où la réussite et l’argent sont très présents dans les mentalités. Toute notre approche axée sur la sensorialité, l’inclusion, l’émotion… ne les touchait pas.

Même si nous avions réalisé un chiffre d’affaires d’un million de dollars, cela n’aurait pas été suffisant pour rendre le projet rentable, ni justifié sur le plan humain. On s’est donc posé la question : qu’est-ce que nous faisons là si les gens ne sont pas réceptifs ? Et du coup nous avons choisi de fermer !

Cette expérience, comme d’autres, m’a permis de comprendre que Dans le Noir? est en réalité un projet profondément culturel. Pour que ça fonctionne, il faut s’adresser à des sociétés ayant déjà une certaine maturité à la fois sensorielle et sociale. Par exemple, nous avons mené des projets à Riyad, au Moyen-Orient, à l’invitation de princes aveugles. Mais nous avons vite vu que la population n’était pas prête. Il n’y avait pas de réelle sensorielle ni de sensibilisation au handicap. Donc, si je devais refaire les choses, je gagnerais sans doute du temps en ciblant uniquement les pays ou les environnements culturellement favorables. J’éviterais certains territoires où, malgré la bonne volonté, le socle culturel ne permettait pas au concept de s’enraciner durablement.

Mais partout où ce terreau existe, le projet a toujours fonctionné. On voit le même schéma se répéter : d’abord l’enthousiasme des médias et des early adopters, puis un bouche-à-oreille très puissant. Une personne vit l’expérience et en parle souvent à vingtaine d’ autres ce qui crée une dynamique exponentielle. Une fois lancé, Dans le Noir? devient une sorte de moteur autonome.

Par exemple, à Saint-Pétersbourg, dans une chaîne hôtelière finlandaise, nous nous sommes dits : « On teste pour un an. » On a ouvert en 2011, et nous y sommes toujours, 14 ans plus tard. À Bordeaux, on avait aussi prévu une année test : cela fait maintenant 7 ans. À Nantes, cela fait 9 ans.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

Il y a plusieurs choses dont je suis fier, mais ce serait sans doute d’avoir permis à des personnes de s’épanouir. Beaucoup de non-voyants qui travaillent chez nous cherchaient un emploi depuis des années, parfois plus de 15 ans. Le handicap isole énormément, et on a vraiment l’impression d’avoir un impact concret sur la vie de ces personnes : elles retrouvent une forme de normalité, un salaire, un environnement social, une valorisation.

C’est une goutte d’eau dans l’océan, on emploie 150 à 200 personnes malvoyantes alors qu’il y en a 90 000 rien qu’en France. Mais cela a ouvert la voie à d’autres initiatives, comme les Cafés Joyeux, qui sont venus nous demander conseil. On a aussi vu l’impact sur les responsables d’entreprises qui visitent nos lieux, et repartent avec des réflexions sur l’inclusion du handicap dans leur propre structure.

Je suis fier de mes collaborateurs handicapés : ils n’ont pas besoin d’aide particulière, ils créent autant de valeur, voire plus, que des personnes voyantes. On a aussi accueilli plus de 3 millions de visiteurs, et je crois qu’on a réussi à faire naître des petites fenêtres dans les esprits. C’est toute la philosophie de notre marque « Dans le Noir ? » avec un point d’interrogation, justement pour faire réfléchir. Notre rôle n’est pas de donner des réponses toutes faites, mais de pousser les gens à se poser des questions. Et une fois qu’ils se questionnent, ils ont déjà fait un grand pas. Je suis également fier d’avoir innové avec notre approche dans le monde du parfum qui s’est beaucoup industrialisé et d’avoir amené une touche d’originalité.

C’est sans doute ce qui me fait penser que Dans le Noir? a véritablement un avenir dans le secteur du luxe soutenant de vraies valeurs d’inclusivité. Car finalement, qu’est-ce que le luxe aujourd’hui ? C’est la capacité de s’extraire, à certains moments, de la norme, de ne pas faire partie du troupeau. C’est proposer des produits, des services, des expériences singulières, uniques, en dehors des standards. Je pense que, fondamentalement, Dans le Noir ? incarne cette vision : celle de personnes qui ne veulent pas acheter un produit simplement parce qu’il est posé sur une étagère à côté d’une publicité. Ce sont des consommateurs en quête de sens, qui veulent choisir leurs produits en conscience, parfois même les créer eux-mêmes, mais en tout cas les apprécier pour ce qu’ils sont, pour leur qualité, leur histoire, leur singularité.

Personnellement, j’ai beaucoup d’admiration pour des maisons comme Hermès, LVMH, Chanel ou encore Guerlain. Ce sont des marques qui investissent énormément dans la qualité de leurs produits, dans les matières premières, dans l’excellence du savoir-faire. Pour moi, cela a bien plus de valeur que les marques qui misent tout sur le marketing. C’est clairement dans cette direction que nous voulons aller.

Parlez-nous du process de développement du parfum ?

Il nous a fallu deux ans pour développer notre parfum. Deux ans, oui, parce que nous avons pris le temps d’aller au bout des choses, de sélectionner les meilleures matières. Je me souviens avoir briefé Suzy de Los Angeles entourée de cinq ou six nez voyants en lui disant : « Suzy, tu n’as aucune contrainte budgétaire sur les matières. Choisis ce que tu veux. » Ce type de brief est très inhabituel pour les parfumeurs, qui ont l’habitude d’entendre parler de contraintes de coûts, de limites, etc. Moi, j’ai voulu faire exactement l’inverse. Je leur ai dit : « Faites-moi le meilleur produit du monde. Allez chercher des roses en Tasmanie s’il le faut, peu importe. Nous investirons moins dans la publicité, mais nous aurons un produit exceptionnel. »

Et c’est d’autant plus important lorsqu’on parle de handicap. Ce parfum a été conçu avec la contribution essentielle de personnes en situation de handicap. Nous avons testé chaque jus pendant des mois, dans le noir, avec des personnes non-voyantes, avec Suzy elle-même dans l’obscurité. C’est un produit dans lequel nous avons investi énormément d’efforts, de temps, mais aussi d’argent. Et cela se reflète dans le jus lui-même, qui est extrêmement coûteux à produire : parce qu’il contient des matières premières rares et précieuses : du santal, de la fève tonka, de la longosa : une fleur originaire de Madagascar très peu utilisée en parfumerie, du bois d’oud, de l’ambre gris… Ce sont des ingrédients nobles, complexes, qui font la richesse et la singularité du parfum. Mais pour nous, ce coût élevé n’est pas un problème. Notre objectif n’est pas de faire un produit rentable à tout prix par le biais du marketing de masse. Ce que nous visons, c’est l’excellence. Nous voulons que ce parfum se distingue par l’expérience qu’il offre, par la qualité de sa composition, par l’émotion qu’il suscite. Nous préférons investir dans la création d’un produit exceptionnel plutôt que dans des campagnes de communication.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur ?

Il est essentiel d’avoir une vision à long terme. Il ne faut pas se lancer dans un projet sur un coup de tête sans réflexion.

Quand j’ai créé Dans le Noir ? mon objectif n’était pas simplement d’ouvrir un restaurant dans l’obscurité. J’avais cette idée forte : explorer les sens sous toutes leurs dimensions. Dès le départ, je savais que cette approche pouvait se décliner de multiples façons. Nous avons commencé par le goût, avec les restaurants, car c’était le moyen le plus direct de toucher un large public. Puis nous avons exploré le toucher, en lançant des spas à Paris et à Bordeaux. Ensuite, nous avons travaillé sur l’olfaction, ce qui nous amène aujourd’hui, 20 ans après, à développer notre propre parfum.

Notre croissance a toujours suivi cette logique, à la fois horizontale, en nous implantant à l’international, et verticale, en développant de nouvelles expériences autour du sensoriel et de l’inclusion. C’est cette vision long-termiste que je recommande aux jeunes entrepreneurs L’entrepreneuriat, c’est une aventure faite de succès, d’échecs, d’espoir et de désillusions. On a, par exemple, connu un revers à New York, où nous avons perdu un million de dollars. Il y a des moments où l’on pense que tout va fonctionner… Et ça ne marche pas. Et à l’inverse, des moments où l’on est agréablement surpris. Ce qui compte, c’est de ne pas laisser un échec briser son enthousiasme ou son élan. Avoir une vision forte, une direction à suivre, c’est ce qui permet de garder le cap malgré les obstacles. Un entrepreneur doit comprendre sa mission, son utilité et ses responsabilités. Bien sûr, la performance économique est essentielle : sans rentabilité, rien n’est possible. Mais au-delà des chiffres, c’est la poursuite d’une idée qui donne du sens à l’aventure entrepreneuriale.

Quelle est votre vision pour l’avenir ?

Alors, déjà, à 72 ans, je ne vais pas vous dire que j’ai de grandes visions d’avenir pour moi-même. Je pense que ce sont d’autres, plus jeunes, qui porteront le futur de Dans le Noir?. Moi, je me vois plutôt comme un passeur. Depuis mon île en Bretagne, je m’applique à poser les bonnes fondations pour permettre un nouveau rebond, une continuité, mais portée par une nouvelle génération.

Alors, déjà, à 72 ans, je ne vais pas vous dire que j’ai de grandes visions d’avenir pour moi-même. Je pense que ce sont d’autres, plus jeunes, qui porteront le futur de Dans le Noir?. Moi, je me vois plutôt comme un passeur. Depuis mon île en Bretagne, je m’applique à poser les bonnes fondations pour permettre un nouveau rebond, une continuité, mais portée par une nouvelle génération. On a déjà accueilli trois millions de personnes, et j’aimerais qu’un jour on atteigne les trente millions.

Il y a sept milliards d’humains sur Terre, donc on a encore de la marge. Et surtout, je pense que l’expérience que l’on propose a un avenir.

Mon ambition, pour les années à venir est d’évoluer vers l’univers du luxe. Pas pour concurrencer les grands noms comme Louis Vuitton ou Hermès, mais pour créer une niche particulière, pour une clientèle curieuse, qui se pose des questions, qui s’émancipe des excès du marketing.

Interview réalisée par Kathy O’MENY
Retranscription Luana Lolli
Avril 2025

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