Abc-luxe a rencontré Patrick Chalhoub afin d’évoquer le marché du luxe au Moyen-Orient, ainsi que la stratégie globale de groupe, devenu un acteur incontournable des pays du Golfe.

 Rappel historique : Michel Chalhoub, le père, fut le premier à importer le luxe occidental au Moyen-Orient dans les années 50. Aujourd’hui, Patrick Chalhoub codirige avec son frère Anthony le groupe familial éponyme, premier partenaire des marques de luxe dans la région, devenu un véritable empire. Déployé dans 14 pays et rassemblant plus de 12 000 collaborateurs, le groupe opère dans la distribution de détail à travers 650 points de vente, mais également dans la communication par le biais d’un partenariat avec le groupe Havas, depuis 2007. Conscient de son impact et de son rôle de modèle, le groupe Chalhoub a mis en place depuis plusieurs années, une stratégie articulée autour du développement durable, de l’éducation et de nombreux sujets sociétaux et humanitaires.

Quelles tendances et évolutions avez-vous constatées au Moyen-Orient en termes de consommation ?
La clientèle actuelle est plus jeune, mais aussi plus éduquée et plus ouverte sur le monde. Les consommateursGroupe_Chalhoub voyagent davantage, ils sont plus affirmés dans leurs goûts et savent ce qu’ils veulent. Nous constatons également qu’ils effectuent leurs achats pour eux, et plus en fonction de l’image qu’ils souhaitent renvoyer. II y a une véritable volonté de se plaire à soi-même avant tout. Dans un second temps, nous remarquons que la décision revient de plus en plus aux femmes, que l’achat soit pour elles, pour leur mari ou pour la maison. C’est un grand changement au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe. Enfin, avec l’avènement des réseaux sociaux, il y a une dimension clanique qui émerge. Notre clientèle est extrêmement connectée, elle aime recevoir les conseils et avis de sa communauté. Cela crée également un très fort taux d’engagement envers les marques, véritable opportunité en matière de communication et de visibilité pour nous.

Quelles évolutions économiques ?
Nous sommes passés d’une période de grande abondance à des temps plus difficiles, marqués par des dépenses plus raisonnées. Aujourd’hui, les consommateurs s’attachent aux produits de qualité, bien finis. Le rapport au luxe a beaucoup changé, il est devenu plus authentique, moins show-off.

Le groupe Chalhoub en quelques chiffres ?
En 2015 et en 2016, le marché du luxe dans les pays du Golfe et du Moyen-Orient est resté stagnant. En 2015, de notre côté, nous avons enregistré une croissance de +3%, Vs +1% en 2016, soit des performances satisfaisantes par rapport au marché.

Quelles initiatives avez-vous mises en place face à la crise qui touche votre zone ?
Je ne qualifierais pas cette période de période de crise, mais « nouvelle norme », car je pense que c’est un phénomène qui va s’inscrire dans la durée. Tout d’abord, nous faisons en sorte d’être plus engagés envers nos clients, d’être en avance sur leurs attentes en comprenant qui ils sont, quels sont leurs parcours d’achat, et ce que nous pouvons leur recommander. Nous souhaitons véritablement être plus à l’écoute de notre clientèle. Nous pensons également qu’il est essentiel d’être extrêmement compétitifs au niveau des prix. Enfin, au-delà d’un service irréprochable, nous nous assurons de faire vivre à nos clients, de véritables expériences. Nous portons une grande attention à tout ce qui concerne l’aspect connexion émotionnelle avec nos clients.

Arab couple using mobile phone and digital tablet in park.

Quelle est votre vision de l’avenir de la consommation de luxe au Moyen-Orient ?
Le luxe dans la région est marqué par le phénomène digital qui prend de plus en plus d’ampleur. Je pense que la tendance va redéfinir les contours de l’avenir du luxe, puisqu’il devient fondamental de pouvoir accompagner nos clients sur leurs parcours online et offline, de la découverte du produit, à l’acte d’achat. Le côté transactionnel est devenu un pré-requis qui s’automatise complètement, alors que la connexion émotionnelle va se déployer davantage, et nous allons nous diriger vers des concepts différents de boutiques multimarques. Je pense que cela marquera la fin de l’uniformisation des boutiques monomarques.

Mais pensez-vous que le luxe continuera à s’acheter en boutique ?
Oui, mais aujourd’hui il me paraît anormal d’effectuer mes achats en boutique et de devoir les porter avec moi toute la journée, alors que je pourrais être livré chez moi le jour-même.

Comment donnez-vous le pouvoir aux clients ?
Je n’en ai pas besoin, ils l’ont pris tout seuls. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de donner davantage de pouvoir aux équipes, de les libérer d’une organisation pyramidale qui ne leur permet pas de s’exprimer pleinement. Je veux leur redonner le pouvoir afin de leur redonner de la motivation, l’envie de s’engager pleinement. Les effets sur la relation avec le client n’en seront que positifs.

Avez-vous mené des chantiers à ce propos ?
Le groupe Chalhoub est un lourd paquebot, et la transition se fait donc graduellement. Nous avons déjà mis en place plusieurs chantiers concernant le management, et nous commençons à entrapercevoir les résultats. Désormais, il ne suffit plus de former nos équipes à la marque et au produit, mais à la prise de décision, à la meilleure façon d’instaurer une véritable connexion avec le client. C’est un changement assez radical.

Avez-vous peur des nouveaux défis induits par l’époque actuelle ?
Au contraire, je n’ai jamais connu de période aussi palpitante. Je me lance dans l’inconnu, je remets en cause tout ce que je peux savoir ou connaître. Cela me challenge énormément.

Quelles sont vos évolutions stratégiques à venir ?
L’intégration des nouvelles habitudes de consommation et de navigation des clients dans notre transformation digitale, d’une part, et la mise en place d’une nouvelle organisation managériale pour donner davantage de pouvoir à nos employés.

Groupe_Chalhoub

Quels types de profils privilégiez-vous pour opérer cette transformation digitale ?
Nous n’avons pas de profils prédéfinis, nous embauchons beaucoup de jeunes sortis d’universités, notamment aux États-Unis.

Le groupe Chalhoub est très impliqué dans les thématiques liées au développement durable et aux enjeux sociaux. Qu’est-ce qui est pour vous significatif ?
Nous sommes une société familiale, et nous sommes convaincus qu’il m’est possible de pérenniser notre activité si notre monde lui-même n’est pas pérenne. Cette importance accordée à la durabilité s’inscrit en adéquation avec notre volonté de rendre notre activité et notre société durables. Nous nous demandons constamment comme nous pouvons soutenir et aider autour de nous, comment nous pouvons rapprocher nos équipes entre elles, comment les valoriser et les impliquer dans leurs missions. Nous avons fait le pari de faire confiance à nos collaborateurs, en mettant par exemple en place des horaires de travail flexibles ou la possibilité de travailler de chez soi. Cela leur permet de gérer leur temps comme ils le souhaitent, et à nous de limiter le turnover. Nos collaborateurs peuvent également s’impliquer, s’ils le souhaitent, dans les initiatives que nous avons mises en place en faveur de l’environnement, de l’éducation, de la santé. Lorsque je passe dans les bureaux, je trouve cela fabuleux de constater que la plupart des salariés portent la petite étoile de notre programme Hope for Cancer Patients…

Si vous vous projetez dans l’avenir, qu’est-ce que vous aimeriez transmettre ? Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens avec lesquels vous avez collaboré aient retenu de vous ?
J’aimerais qu’ils aient appris quelque chose, car je pense que « la connaissance doit se partager ». Quant aux clients, j’aimerais qu’ils gardent le souvenir d’une société dans laquelle ils ont confiance.

Votre plus grand luxe ?
Le temps. Le matin lorsque je fais ma gym ou que je marche pour aller à mes rendez-vous, et que je peux laisser mon esprit vagabonder. …