Son nom vous est certainement familier, et pour cause. L’histoire d’Alberto Morillas, c’est l’histoire d’un Maître Parfumeur de génie, prolifique et passionné, dont le nombre de créations s’élève aujourd’hui à plus de 500, dont certaines s’inscrivent parmi les plus grands classiques de la parfumerie. C’est l’histoire d’un autodidacte, qui rejoint en 1970 les rangs de Firmenich à Genève, sans diplôme ni formation, et qui signera quelques années plus tard, son premier grand succès avec Must de Cartier. Depuis plus de quarante-cinq ans, Alberto crée pour les grandes marques les plus exquises fragrances, dont certaines se sont hissées au rang de véritables icônes. À l’instar de Byzance de Rochas, CK One de Calvin Klein, Acqua Di Giò de Giorgio Armani, Flower by Kenzo de Kenzo ou encore Belle d’Opium d’Yves Saint Laurent.
En 1999, c’est avec le lancement de Mizensir, dédiée à la création de bougies artisanales d’exception, qu’Alberto Morillas se lance dans l’aventure entrepreneuriale. Aujourd’hui enrichie d’une ligne d’eaux de parfum, la maison se distingue grâce à ses compositions à la fois singulières et personnelles, témoignant de toute la passion et l’excellence du Maître Parfumeur.
Vous avez créé quelques-unes des fragrances les plus cultes de l’histoire de la parfumerie, qu’est-ce qui vous a décidé à lancer votre propre marque ?
Cela va faire quarante-cinq ans que je suis dans le secteur de la parfumerie et je peux vous affirmer que même après toutes ces années, c’est toujours la même passion qui m’anime. Chez Firmenich, j’ai toujours eu la possibilité de créer sans tabou et sans limite, et je suis ravi de pouvoir continuer à collaborer avec eux aujourd’hui, et pour quelques années encore.
L’idée de Mizensir est venue tout naturellement. Il y a vingt ans, Patrick Firmenich m’avait demandé de créer une ligne de bougies afin de les offrir aux bons clients de l’entreprise. Face au succès de cette gamme, il m’a alors encouragé à développer ma propre marque de bougies artisanales, entièrement fabriquées à la main dans un atelier à Genève. C’est ainsi qu’est née Mizensir.
Comment définiriez-vous l’identité de la marque ?
Il ne s’agit pas d’articles de niche, mais de produits véritablement exceptionnels, très exclusifs. Les bougies Mizensir sont entièrement conçues artisanalement au sein d’un atelier à Genève. La philosophie de la marque n’est pas de proposer des objets de décoration, mais de permettre la découverte de fragrances que nous avons « mises en cire » tout en se laissant transporter… Il en va de même avec la ligne de parfums de peau, que nous avons créée ultérieurement, qui sont des créations plus personnelles avec une signature olfactive plus affirmée.
Racontez-nous le développement de Mizensir
Ma femme m’a accompagné dès le début de cette aventure, et ma fille en a pris les rênes il y a quelques années. Nous avons d’abord ouvert une première boutique à Genève, puis ma chère amie Colette m’a proposé de les vendre au sein de son concept-store parisien, où elles sont toujours distribuées aujourd’hui. Nous avons un magasin à Megève et nous sommes également distribués au Printemps Haussmann, à Londres dans plusieurs magasins prestigieux ainsi qu’à Bruxelles. Nous serons prochainement en Russie et à Dubaï. Nous souhaitons avant tout rester très exclusifs, presque confidentiels.
Comment après toutes ces années, parvient-on à ne jamais se lasser ?
J’ai gardé la même énergie créative, et je vois toujours la parfumerie avec des yeux d’enfant. J’ai également la chance de travailler avec une société qui investit énormément dans la recherche et les nouvelles molécules, ce qui me permet d’avoir un terrain de jeu sans cesse renouvelé.
Quel est d’après vous, votre plus grand talent ?
La passion ! Je pense que c’est primordial pour exceller dans ce que l’on fait, se renouveler constamment et savoir rester dans l’air du temps.
En quoi les processus de création diffèrent-ils selon qu’on crée pour une grande marque ou pour sa propre maison ?
Les enjeux financiers ne sont pas les mêmes. Pour Mizensir, nous ne faisons pas appel à des égéries, nous avons donc peu de frais et je peux aller beaucoup plus loin dans la création, je suis totalement libre. En revanche, certains éléments restent intangibles, et notamment en matière de philosophie du parfum : il s’agit d’évoquer la grandeur, la simplicité, et de créer quelque chose de différent.
Combien de temps dure généralement le processus de création d’un parfum ?
C’est très variable, cela peut durer un mois comme trois ans. C’est très difficile de savoir s’arrêter, comme un livre ou une œuvre d’art, on voudrait toujours prolonger, et l’on est toujours un peu nostalgique lorsque l’on en vient à bout. C’est difficile de définir si la création est terminée, et c’est d’ailleurs rarement la dernière version que l’on choisit. Pour Kenzo Flower par exemple, c’est la troisième version qui avait été retenue… sur plus de 4 000 essais ! L’histoire du parfum est invisible, c’est l’émotion qu’il nous procure qui est importante.
Qu’est-ce qui fait selon vous que certains parfums s’inscrivent dans le temps et pas d’autres ?
Pour beaucoup, cela relève surtout de l’identité. Il y a vingt ans, Acqua di Gio n’était pas du tout tendance, aujourd’hui, il est intemporel. Idem pour CK One de Calvin Klein.
Comment percevez-vous l’industrie de la parfumerie aujourd’hui ?
Je trouve que si tout le monde est capable de créer de beaux parfums, de beaux flacons, le secteur manque parfois un peu d’audace. Bien évidemment, cela coûte très cher, mais beaucoup de marques préfèrent investir dans l’image plutôt que dans le jus. Je pense que l’on vit un tournant dans le secteur de la parfumerie. Les consommateurs sont confrontés à énormément de choix, mais aussi de contrefaçons et de produits de qualité hasardeuse. C’est aux marques de devenir plus sérieuses afin de rendre au métier toute sa superbe.
Avez-vous une matière fétiche ?
Le cypriol. Il s’agit d’une racine de papyrus que j’avais utilisée lorsque j’ai créé mon premier parfum, FH77 pour Courrèges. Je suis aussi très attaché à la fleur d’oranger qui me rappelle mon enfance, et à la rose. Des matières, des formules, il y en a des millions dans la parfumerie, ce qui importe, c’est l’histoire que vous allez écrire avec.
Pensez-vous que les marques et les distributeurs doivent davantage proposer à leurs clients des expériences en magasin ?
On est dans un monde de consommation, les gens qui achètent des parfums n’ont pas besoin qu’on leur explique. C’est un moment solitaire pour les épicuriens qui aiment découvrir et suivre leurs impressions.
Quelle est votre plus grande fierté en tant que parfumeur ?
Avoir des clients passionnés, avoir certains grands classiques à mon actif, mais surtout continuer à être aussi passionné qu’il y a quarante ans, et continuer à chérir ces moments de création.
Interview réalisée par Kathy O’MENY et Mathilda PANIGADA
Juillet 2017
https://www.mizensir.com