Le 22 décembre dernier, le Grand Musée du Parfum ouvrait en fanfare ses portes à Paris. Une inauguration attendue aussi bien de la part des professionnels du secteur, heureux d’accueillir la première institution française dédiée à leur univers, que d’un large public. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la capitale, pourtant ancrée dans l’histoire de la parfumerie, ne possédait jusqu’alors aucun lieu qui lui soit consacré en dehors de sites mono-marque à l’instar du musée Fragonard.
A l’initiative de ce projet emblématique, Guillaume de Maussion, étranger à l’univers du parfum. Fondateur de Planfax, CEO de Teleneo, passionné de digital et de nouvelles technologies (le musée, hautement innovant, en est le vibrant témoignage), l’entrepreneur et son équipe ont réussi le pari de mettre sur pied, en deux ans seulement, un nouveau lieu incontournable de la culture et du patrimoine français.
© Isabelle Chapuis & Alexis Pichot.
Vous qui ne venez pas du sérail de l’industrie de la parfumerie, comment vous est venue l’idée de monter le premier musée consacré au parfum ?Je dirigeais une société spécialisée dans la billetterie d’opéra et je m’intéressais particulièrement à l’offre parisienne destinée aux touristes. Après une carrière dans l’univers du digital, j’ai eu envie de fonder un projet plus concret, physique, qui fasse plus sens : un véritable lieu culturel et pédagogique. Je trouvais surprenant le fait qu’il n’y ait pas de musée consacré au parfum à Paris. Paris est tout de même, pour le monde entier, reconnu comme la capitale de la parfumerie. J’ai discuté de l’idée avec mes proches, j’ai sondé mon entourage, pour finalement constater que c’est un univers qui attisait ma curiosité, mais qui est aussi méconnu. L’idée s’est alors imposée.
Comment passe t-on de l’idée au concret ?
J’ai commencé par convaincre mes associés et amis, Nicolas de Gaulmyn et Dorothée Lepère. Sandra Armstrong nous a rejoints afin de nous faire profiter de son expertise et de sa connaissance du secteur. Nous avions la volonté commune de proposer quelque chose de différent, un lieu singulier très contemporain. Nous souhaitions que les visiteurs viennent au musée avec le désir de vivre une véritable expérience plus que motivés par le sentiment d’accomplir un « devoir culturel ». Créer un lieu luxueux, mais accessible à tous à l’image du parfum symbole du luxe mais partagé par le plus grand nombre. Ce fut un véritable pilier de notre réflexion pour conceptualiser notre projet.
Racontez-nous le passage à l’action :
L’idée a commencé à poindre durant l’été 2014. Il a ensuite fallu monter le dossier, faire appel à une agence spécialisée dans la scénographie pour donner vie à nos ébauches… Puis rencontrer les acteurs de l’industrie. Nous avons pris contact avec l’IFF (International Flavors and fragrances, ndlr), qui nous a suivis et fortement soutenus. IFF a pris le risque de nous accompagner alors que le projet était complètement hors sol à ce moment-là. Ils sont non seulement devenus des partenaires financiers, mais ils nous ont également ouvert les portes de l’univers de la parfumerie, ce qui nous a permis de constituer un comité d’experts, indispensable pour mener à bien le projet. A l’été 2015, nous avons rencontré Patrick O’Quin et Gérard Delcour du Syndicat français de la parfumerie. Ils ont avec nous, rassemblé et fédéré les grandes marques afin que le Grand Musée du Parfum ne soit pas le musée d’une seule marque mais celui de toutes les marques. Lorsque nous avons trouvé le lieu, ce magnifique hôtel particulier en plein cœur de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, cela a mis fin aux dernières hésitations. Nous avions nos partenaires, les marques étaient prêtes à s’engager, un accompagnement financier de la part de la région Île de France et une cinquantaine de business angels nous ont rejoints. Il ne nous restait plus qu’à mettre en œuvre et à lancer les travaux.
Kathy O’Meny, Fondatrice et Rédactrice en chef d’Abc-luxe interviewant Guillaume de Maussion
En tant qu’entrepreneur, combien de temps se laisse t-on pour être sûr que cela va fonctionner ?
Pour ma part il y a un mantra que j’aime bien : « Si vous pensez au plan B, c’est que vous n’avez pas de plan A ». Ça rend persévérant ou entêté, c’est selon. En tant qu’entrepreneur, je n’ai pas tout réussi, alors j’évite de donner trop de conseils. Dans le cas du Grand Musée du Parfum, tout s’est parfaitement imbriqué. A aucun moment nous n’avons songé à faire marche arrière.
Quelles sont les vocations du musée ?
La vocation première est culturelle : faire rayonner le secteur de la parfumerie, véritable patrimoine immatériel pour la France. Il y a aussi la volonté de donner envie de porter du parfum. C’est par la connaissance du sujet que vous comprenez pourquoi on porte du parfum, que vous découvrez le plaisir de choisir un parfum et de le partager en le portant. À cet effet, nous avons installé un dispositif qui permettra au visiteur de créer tout au long du parcours son carnet de visite olfactif, lui permettant de marquer les odeurs qu’il a préférées, afin qu’une fois sa visite achevée, il puisse mieux exprimer ses préférences et s’orienter vers des fragrances qui lui correspondent. J’ai envie que les gens viennent au musée non seulement pour découvrir l’histoire et l’art de la parfumerie, mais aussi pour que ce soit le meilleur endroit pour choisir son parfum.
Quelles ont été les réactions des marques ?
Elles ont toutes reconnu la nécessité et la pertinence du projet. Elles sont toutes, ou presque, partenaires du musée, certaines ont mis en place des partenariats plus aboutis, tels que Thierry Mugler en ce moment (avec l’hommage rendu à Angel pour les 25 ans de sa création). Certaines ont attendu de voir l’ouverture pour se positionner.
La collection de matières premières © Harvey & John – Photo : Irène De Rosen.
Le musée permet de découvrir de multiples senteurs. Quels sont les procédés pour qu’elles ne se cannibalisent pas entre elles et que le visiteur ne sature pas ?
Dans le parfum, l’alcool permet aux molécules odorantes de s’évaporer et de créer un sillage, mais en forte quantité, il anesthésie les neurones olfactifs. Nous avons donc mis au point un partenariat avec Scentys, afin que toutes les senteurs diffusées au musée soient des odeurs sèches, c’est-à-dire dénuées d’alcool. Il est possible d’y sentir 70 odeurs sans jamais être incommodé en aucune façon.
Quelles sont vos ambitions pour le musée, et comment les avez-vous définies ?
Nous avons étudié les chiffres de la fréquentation de musées parisiens, qui sont publics, et nous ambitionnons d’accueillir 300 000 visiteurs annuels. C’est bien parti !
Quel est selon vous votre plus grand talent ?
Je suis plutôt un créatif et je pense savoir fédérer les bonnes personnes.
A ce propos, comment avez-vous constitué le « noyau dur » du musée ? Quelles sont les qualités que vous privilégiez ?
L’humain est capital, j’aime être entouré de personnes positives, c’est fondamental dans les projets d’entreprenariat. L’agilité et la compétence professionnelle sont aussi des fondamentaux bien sûr.
Quelle est votre approche face aux obstacles ?
Je contourne, et je persévère.
Qu’auriez-vous envie de dire aux jeunes entrepreneurs ?
Allez-y ! Je trouve que l’entreprenariat est extraordinaire. Cela procure beaucoup de satisfaction. Qui plus est, aujourd’hui, on peut mettre beaucoup de choses en œuvre avec des moyens raisonnables.
Une personnalité que vous admirez ?
Je suis fasciné par les gens qui sont partis de rien, et ont réussi à construire des empires. Francis Bouygues, Lagardère, Xavier Niel…
Votre parfum préféré du moment ?
Grey Flannel de Geoffrey Beene, et j’alterne avec l’Homme Idéal, de Guerlain. Je portais de moins en moins de parfum, mais à force de me pencher sur le sujet, j’ai commencé à le considérer comme un véritable élément d’identification. Cela m’a donné envie d’en porter à nouveau, mais aussi d’en changer.
Votre prochaine étape ?
Nous ne sommes ouverts que depuis deux mois… Mais nous visons d’ouvrir une nouvelle version en Chine, à Dubaï ou à Singapour.
Interview réalisée par Kathy O’Meny et Mathilda Panigada pour Abc-luxe – février 2017.
Le Grand Musée du Parfum
73, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris.
Du mardi au dimanche de 10 h 30 à 19 h, nocturne le vendredi jusqu’à 22 h.
Tarif adulte : 14,50 €.
Tel : 01 42 65 25 44 – www.grandmuseeduparfum.fr