En 2014, David Caméo succède à Marie-Liesse Baudrez à la tête des Arts Décoratifs, après plus de dix années passées à la tête de la Cité de la céramique de Sèvres et une carrière bien remplie dans le domaine culturel. Diplômé de l’IEP de Bordeaux, il fait ses classes en tant qu’assistant parlementaire à l’assemblée nationale, avant de rencontrer le monde des arts en devenant chef de service de la délégation aux Arts plastiques en 1982. En 1998, il intègre tour à tour les cabinets de Catherine Trautman puis Catherine Tasca comme conseiller technique, puis le cabinet de Lionel Jospin comme conseiller en charge de la culture, avant de finalement rejoindre Sèvres, à sa demande. David Caméo entrepris de donner un nouveau souffle à l’institution. Artistes de renom et talents émergents en résidence, expositions hors les murs, visites d’ateliers, autant d’événements qui contribuèrent à redonner un nouvel élan à ce haut lieu de la céramique. David Caméo met aujourd’hui sa volonté de construire, au service des Arts Décoratifs.
L’institution des Arts Décoratifs est connue mondialement. Avec à l’affiche une exposition sur la mode (Fashion Forward), une seconde sur Barbie, et une dernière sur les caricatures dans les affiches, il est parfois difficile de comprendre l’objet de cette institution. Pourriez-vous nous en redéfinir le périmètre ?
Il est vrai que la perception des Arts Décoratifs est parfois ambiguë, voire faussée. L’institution rassemble trois sites : le musée des Arts Décoratifs tout d’abord, situé au 107, rue de Rivoli, dans une aile du Palais du Louvre. Ce musée retrace l’histoire des arts décoratifs du Moyen-Âge à nos jours. Il comprend la bibliothèque des arts décoratifs, inaugurée en 1903, les ateliers du Carrousel où l’on compte 1 600 inscrits, qui proposent des cours d’art plastique, mais aussi deux concessions importantes : le restaurant le Loulou et la boutique Arteum. L’institution comprend également le musée Nissim de Camondo, situé rue de Monceau, qui abritera un restaurant en 2017, et enfin l’école Camondo, boulevard Raspail, qui accueille chaque année plus de 330 étudiants et environ 70 professeurs. Cela représente un total d’environ 400 personnes réparties sur les trois sites.
Comment vit cette institution ?
Notre budget annuel est de 31 millions d’euros ; 15 millions d’euros nous sont alloués par le ministère de la Culture. À nous de trouver les 16 millions restants.
Comment faites-vous ?
Par le biais de partenariats, de location d’espaces, par exemple pour les défilés durant les fashion weeks, les droits d’entrée de l’école Camondo et des Ateliers du Carrousel, mais également le mécénat. Il nous faut être en capacité d’organiser des expositions qui génèrent du trafic, tout en fédérant des partenaires qui croient aux projets et acceptent de les co-financer. L’exposition Fashion Forward par exemple, qui se tient actuellement, a été rendue possible grâce au mécénat d’H&M.
Nef du Musée des Arts Décoratifs
N’est-ce pas un risque de collaborer avec un partenaire tel que H&M ?
Bien au contraire ! C’est la première fois qu’ils finançaient une exposition et elle n’aurait pas pu avoir lieu sans leur financement. Ils ne sont pas intervenus une seule seconde dans le processus créatif. D’ailleurs, il n’y a qu’une seule robe H&M (sur 300 pièces, ndlr) incluse dans la sélection. En revanche, ils ont également beaucoup participé à la communication, et nous avons pu bénéficier de leur rayonnement à l’échelle mondiale. C’est le même principe pour l’exposition « L’Esprit du Bauhaus » qui démarrera en octobre prochain, et avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès.
Le Musée des Arts Décoratifs bénéficie d’un rayonnement international. Pourtant, l’institution semble finalement être assez méconnue du grand public. Pourquoi selon vous ?
Premièrement, nous sommes installés au sein du Musée du Louvre, et cela peut être un avantage. Autant qu’un handicap. Le public ne nous voit pas bien, même si nous bénéficions d’une grande attractivité. Nous ne sommes pas un musée au sens classique du terme, dans la mesure où ce ne sont pas des conservateurs qui ont bâti une collection. Nos collections ont été constituées grâce aux dons de particuliers, de grands industriels, de collectionneurs privés… Il y a donc le parti-pris du goût du collectionneur. Nous essayons de mettre en place une collection plus ciblée, tout en respectant l’ADN et la raison d’être du musée : célébrer l’art de vivre à la française. Aujourd’hui, avec Olivier Gabet, le directeur du musée des Arts Décoratifs, nous souhaitons vraiment devenir le musée du design, le musée de l’objet, nous avons une vraie volonté de nous ouvrir à la création contemporaine, et cela dans différents domaines : la mode, le graphisme, le design, le mobilier, tout cela en adoptant une vision très large et internationale. L’exposition Korea Now, qui s’est tenue l’an dernier, en est un parfait exemple. Afin de lier ces différents domaines, nous organisons plusieurs grandes expositions, telles que l’exposition Barbie qui côtoie l’exposition « Fashion Forward » et l’exposition « De la caricature à l’affiche ».
Récemment, vous avez accueilli entre les murs du musée des Arts Décoratifs les papiers peints et tissus de la maison Pierre Frey, exposition qui a connu une forte affluence. À quoi est lié ce succès selon vous ?
À la période tout d’abord. C’est un sujet très mode, mais si l’on avait organisé cette exposition, il y a 10 ans, je pense que le visitorat se serait restreint à quelques fanatiques de papier peint. Aujourd’hui, tous les grands designers s’y mettent. C’est aussi notre rôle d’identifier les tendances et mouvements émergents. Du fait de l’importance de nos collections, nous avons tous les éléments à disposition pour mettre en place ce type d’exposition, quasiment clefs en main. C’est aussi ce qui a plu dans le cadre de l’exposition Pierre Frey. Des objets du musée étaient installés en résonance avec leurs collections afin d’illustrer la liaison, la pertinence entre nos collections et les créateurs que nous invitons, avec toujours l’art de vivre à la française comme fil conducteur.
Quel est, selon vous, votre plus grand talent ?
Je ne saurai vous dire quel est mon plus grand talent, mais je sais quel est mon but. J’adore la matière, j’adore la céramique, et mon but est de mettre toute mon énergie, ma conviction et mes compétences dans cette institution, faire le lien entre patrimoine et transmission, savoir et création. D’autant que nous avons la chance inouïe de disposer d’un patrimoine exceptionnel.
Collection permanente Musée des Arts Décoratifs
Quelle importance accordez-vous au digital ?
Je dois avouer que je ne suis pas né avec une tablette dans la main. Mais je suis conscient de sa portée, et j’y crois très fort, peut-être même plus que si j’avais 12 ans aujourd’hui ! (rire). Depuis 2013, le musée des Arts Décoratifs a mené un vaste chantier de numérisation, grâce au mécénat de la Fondation Bettencourt Schueller. Cela nous a permis de recenser, numériser et mettre en ligne, dans le cadre d’un centre de ressources numériques, plus de 28 000 œuvres issues du musée et de sa bibliothèque. Nous avons également mis en place des outils innovants, qui permettent aux visiteurs d’interagir avec l’environnement du musée. Par exemple, et pour en revenir aux papiers peints, nous avons installé un dispositif numérique qui permettait au visiteur, par le biais d’un écran tactile, de redécorer à sa guise l’une des salles avec des objets faisant partie des collections du musée, et notamment des papiers peints, textiles…Dans les appartements de Jeanne Lanvin, les visiteurs sont invités à pénétrer dans le boudoir et grâce à un dispositif sonore, ils peuvent entendre des murmures, des chuchotements, et s’immerger pleinement dans l’univers de la créatrice.
Nous avons vraiment la volonté d’être un nouveau lieu de plaisir. De « redonner de l’attractivité à ce musée », comme le dit Pierre-Alexis Dumas (président des Arts Décoratifs, ndlr).
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?
J’aime contribuer à susciter des vocations. C’est aussi notre rôle et notre challenge. Nous recevons beaucoup de scolaires, et nous avons mis en place une politique en partenariat avec l’Etat, afin de pouvoir faire venir des jeunes issus de milieux défavorisés. Une fois par an, ils viennent découvrir les métiers d’art, et je trouve cela fantastique de les voir interloqués lorsqu’ils découvrent le processus de fabrication d’une paire de John Lobb, les voir écouter attentivement le métier qui leur est expliqué… Si sur les 1 000 jeunes que l’on reçoit, il y en a une dizaine qui se découvrent une vocation dans nos métiers, cela serait déjà formidable. C’est aussi ce type de défi qu’il faut souligner. C’est dans cette même logique de diversité sociale que nous avons ouvert, avec le directeur de notre école Camondo, René Jacques Mayer, 10% de places gratuites pour des élèves brillants mais pour lesquels le droit d’inscription reste un frein à leurs ambitions.
Quel est votre plus gros challenge à l’heure actuelle ?
Tenir notre feuille de route sur cinq ans, et notamment maîtriser et équilibrer les comptes. Cela va prendre la forme de réformes en interne, qui permettront de réguler les budgets de fonctionnement, mais aussi par la recherche d’autres ressources propres. Si l’on ne va pas chercher l’argent, rien n’évolue. C’est un vrai challenge mais nous y croyons tous. Nous avons la chance d’avoir à nos côtés une nouvelle équipe très dynamique et déterminée, ainsi qu’une ancienne équipe très impliquée.
Un challenge que vous n’avez pas encore réalisé ?
J’en ai bien assez comme ça ! Ce qui m’importe, c’est de bien faire ce que j’ai encore à faire. Je suis toujours en train de galoper, et je dis trop souvent oui. Entre l’orchestre Poitou-Charentes (qu’il préside, ndlr), l’association Paris Ateliers, la commission création du Comité Colbert… Le jour où j’aurai envie de faire autre chose, je n’aurai que l’embarras du choix.
Interview réalisée par Kathy O’Meny et Mathilda Panigada pour Abc-luxe
Musée des Arts Décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris.
www.lesartsdecoratifs.fr